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NOVELLA
UNE MUE EN DOUCEUR... Extrait de KYRN MAGAZINE - 29 SEPTEMBRE 1989
"On ne passe pas par chez nous, mais ce n'est peut-être pas un mal... Cela nous a permis de garder notre âme... ". Celui qui parle ainsi, c'est Paul Patriarche, Conseiller régional et Conseil général de Belgodère.
« Chez nous », c'est Novella, son village. Un village dont il a été réélu maire en mars dernier.
C'est vrai, Novella n'est sur aucun des grands axes routiers et c'est vrai aussi, Novella n'appartient en fait à aucune des régions d'alentour. Ce n'est pas le Giunssani, pas encore la vraie Balagne, plus du tout le bassin de Ponte-Leccia... Quant aux communes les plus proches, Pietralba, Lama, Urtaca, c'est « U Canale », un petit monde à part...
On peut arriver à Novella par le train. Il s'y arrête encore. Mais plus aucune vie n'anime la gare que les derniers personnels ont quittée dans les années 50. La grande maison du chef de gare est en ruine, envahie par les fougères et les tuiles brisées et ses volets de bois gris grincent au vent de la désolation. Seule, demeure l'inscription « Novella » en lettres délavées au fronton lézardé...
C'est de la gare, pourtant, qu'on a une première idée du village, en contrebas grosse perle grège nichée dans le somptueux écrin d'une nature toujours intacte.
Novella est au beau milieu du maquis comme une île au milieu de la mer... cernée de toutes parts.
Autrefois, Novella était un village peuplé et actif. Dès le 17° siècle, abandonnant le vieux hameau de Cruscani, une cinquantaine de familles s'étaient fixées à Novella, d'autres préférant pousser plus bas, jusqu'à Palasca.
Avec les années, la population a connu un essor constant, jusqu'à compter, à la veille de la première guerre mondiale, près de quatre cent trente âmes !
C'était alors le règne de l'olivier et de l'élevage. Longtemps, Novella a fait sa fortune sur l’arbre d’argent. On venait de tous les villages alentours pour la cueillette des olives. Puis le feu a tout ravagé et le déclin a commencé. Le bétail, lui, atteignait des chiffres considérables. Les Orabona ou les Massiani, deux des plus grandes familles de l'endroit on possédé jusqu'à plus de 200 têtes chacune ! Le moindre troupeau, c'était au bas mot une vingtaine de têtes...
Si l'on ajoute à ces deux principales activités la vigne et le blé (on a compté ici à une époque plus d'une douzaine de paires de boeufs de labour !), on aura un tableau à peu près complet du Novella d'autrefois. Essentiellement agricole, bien sûr, mais qui recensait par exemple, à la veille du second conflit mondial, deux instituteurs, deux épiceries et trois cafés, un moulin à huile et une entreprise de maçonnerie !
Aujourd'hui, Novella, c'est, l'hiver, une petite centaine d'habitants à peine : c'est l'Insee qui le dit, mais peut-être est-il quelque peu généreux... Quoi qu'il en soit, sur le terrain, la réalité est plus cruelle.
L'école a fermé ses portes, l'an passé au mois de juin, après un ultime et inutile sursis : des familles sont parties qui ont fait chuter l'effectif à zéro ou presque. L'institutrice exerce à présent à Urtaca...
Au village, depuis bientôt dix ans, il n'y a plus de commerces : le boulanger vient d'ailleurs, le marchand de fruits et légumes, l'épicier aussi. On vit au rythme de leurs passages hebdomadaires.
Les actifs sont bien peu nombreux : le cantonnier, la postière de l'Agence, le gérant du seul et unique bar, deux ou trois bergers, dont le fromage est vendu et affiné ailleurs...
Même les retraités se font rares : sans aucune autre raison apparente que l'illusoire sentiment de sécurité que procure la ville, ils ont préféré le béton des tours de Lupino ou d'ailleurs, mais ils rêvent toujours des senteurs de leur montagne...
« Pourtant, assure Paul Patriarche, nous avons cherché à donner le confort à ceux qui restaient : Novella dispose de son propre relais-télé, et n’a plus de problèmes d’eau ou d'assainissement... ».
«Par ailleurs, complète avec force Robert Grimaldi, le premier adjoint, nous faisons tout pour garder les gens au village. Les jeunes, surtout, car c'est en eux que réside l'espoir... ».
«Plus d espoir...», pense, lui, Antoine Filippi, retraité, qui évoque avec nostalgie le Novella d'autrefois.
Plus d'espoir, c'est peut-être un jugement un peu trop hâtif ou désespéré. II est certain que la situation est préoccupante. Pourtant, la commune est vaste (1200 hectares) et son budget a décuplé en plus de six ans...
« Mais, concède Paul Patriarche, nous n'avons aucun débouché littoral... Difficile dans ces conditions de lutter contre le dépeuplement... ».
C'est sûr, Novella, 100 % montagnarde, n'a pas même un doigt de pied dans la mer pourtant pas très lointaine à vol d'oiseau.
La mer, c'est la célèbre plage de l'Ostriconi et son sable, le plus fin d'Europe, fait rêver tous les touristes. Des siècles durant, l'endroit a été considéré comme peu fréquentable, voire maléfique, par les gens de Novella. Aujourd'hui, certains guignent de son côté : « le développement de Novella, comme celui des autres communes du coin, passe par l'aménagement de l'Ostriconi... » affirme Jean-Louis Massiani, second adjoint, qui sait de quoi il retourne. Il s'occupe de la gestion du village-vacances familiale de Lozari... qui dépend de Palasca !
L'aménagement de l'Ostriconi. Les grands mots sont lâchés. Ce n'est pas seulement à Novella, on le sait, que l'idée fait des vagues, mais ici, personne n'a oublié la prise de position très claire de Paul Patriarche. « J'ai dit oui à la protection, mais non au classement... » rappelle-t-il.
Le salut viendra-t-il du littoral ?
D'ores et déjà, le village dispose depuis peu d'un atout non négligeable : la nouvelle route qui met à 15 minutes de Ponte Leccia et rejoint le grand axe qui va vers la Balagne. Une chance à saisir, entre autres. Car il ne faudrait pas croire que Novella soit à jamais condamnée. Des raisons d'espérer existent et avec elles, des projets.
D'abord, ce village n'est pas, heureusement, totalement déserté par tous. Des familles jeunes, en nombre important, y reviennent très régulièrement hors saison : bien sûr, ce n'est souvent que pour un week-end ou pour quelques jours de vacances, mais ils entretiennent un semblant de vie et l'espoir avec. D'autant qu'ils sont tous très attachés à Novella : certains ont restauré la vieille maison familiale, d'autres ont préféré s'installer sur le lotissement tout neuf, comme Henri qui y fait bâtir la maison de ses rêves, en plein maquis, bien que travaillant toute la semaine à Bastia. « Je reviendrais toujours à Novella, même si je devais m’y retrouver seul... » affirme-t-il sans forfanterie.
Par ailleurs, l'été venu, la population de Novella quadruple presque et le village, connaît une animation sans pareille, entretenue par deux associations : U Chjassu, composée de Novellais de l'extérieur et qui prépare, l'année durant, les manifestations de l'été, et le Comité des Fêtes, dont les rênes ont été reprises par Robert Grimaldi, le premier adjoint, véritable homme-orchestre : jeux pour les enfants. soirées, bals, spectacles se multiplient...
Les grands projets, eux, sont au quotidien. Le principal semble être la création d'un relais-équestre. « La candidature de Novella a été retenue dans le cadre du plan Bergelin, explique Paul Patriarche. Une vingtaine de boxes, de quoi accueillir autant de personnes, une salle à manger, un fenil... ». Bref, de quoi offrir une halte bienfaisante aux cavaliers qui viendraient sillonner cette belle région. D'autant qu'en liaison avec la Société de Chasse, la commune a ouvert et entretient 15 km de pistes. Véritable carrefour dans la nature, Novella était l'endroit rêvé pour une pareille réalisation, la seule en Corse.
D'autres idées ont déjà pris corps : dans les locaux de l'ancienne école, on a créé un bar. II manquait, depuis de trop nombreuses années, un pareil lieu de réunion quotidienne. En juin, on lui adjoindra une pizzeria : c'est souvent autour d'une table que se nouent des liens...
Les "chjassi" du village vont, eux, être refaits en pierre du pays : une façon comme une autre d'améliorer le cadre de vie.
Un centre commercial est en projet, qui serait, de par sa situation géographique, davantage tourné vers Novella et villages du Canale.
Quant au tennis ou au terrain de foot que réclament Christophe et Jean-Christophe, seize ans tous les deux, un jour peut-être ?
Enfin, dans le domaine culturel, l'église qui abrite un tableau miraculeux, (1) a été restaurée, et la chapelle Saint-Michel (où se trouve un curieux crucifix : les clous y sont remplacés par des clés !) en passe de l'être.
On l'aura compris, comme disait quelqu'un, la situation est grave, mais bien loin d'être désespérée. D'autant que tous ceux qui aiment leur village ont leur petite idée sur les meilleures voies de son développement.
« La seule activité envisageable, pour moi, c'est l’élevage... » estime Jean Trojani, conseiller d'éducation à Calvi en semaine, mais homme de la terre dès qu'il retrouve son village. «Mais on ne peut plus, hélas, pratiquer l'agriculture comme autrefois... » ajoute-t-il.
« A part le tourisme, quelle solution ? s'interroge Manuel Guerrero, retraité et conseiller municipal. Novella, c'est le lieu de repos idéal pour le citadin stressé, mais encore faut-il pouvoir le loger et lui permettre de se distraire... ».
On le voit, l'avenir de Novella pose malgré tout bon nombre de questions. Blotti au fond de sa conque de verdure, le village s'étend, en dehors des sentiers battus par un tourisme de plus en plus envahissant.
Mais qui sait, Novella prépare peut-être en secret sa prochaine mutation ?
(1) en 1896, un tableau, représentant une Vierge à l'Enfant, qui transpirait, fit accourir à Novella de très nombreux pèlerins.
Jean-Raphaël CERVONI