Histoire des traditions médicales
A mon grand-père
Le Docteur Joseph Antoine ORABONA. «Qui ne recevait les malades à NOVELLA que le dimanche ».
A mon Oncle
Le Docteur Ange Toussaint ORABONA. « En souvenir des veillées de Noël passées devant la cheminée d'URTACA », je dédie ces pages écrites dans un sentiment de fidélité aux traditions médicales de notre famille, et d'amour pour l'histoire de notre région.
PIETRALBA, LAMA, URTACA, NOVELLA, ces quatre villages formaient autrefois la piève de l'OSTRICONI.
L'île fut découpée en piève par le gouvernement de GENES. Ces pièves furent ensuite démembrées par Pascal PAOLI.
Dans les villages, la vie demeure essentiellement pastorale. Le régime de la libre pâture subsiste, les veillées se succèdent tout au long de l'année. Là, se transmettent les vieux usages, les contes, où plane parfois l'ombre des puissances surnaturelles, les histoires de famille, la situation sociale, économique, médicale de la région.
LES MEDECINS
Du point de vue médical, les premiers soins dispensés à l'échelle sociale semblent être à l'actif du clergé.
- A NOVELLA
Antoine ORABONA est reçu "docteur en médecine" devant la faculté de ROME le 16 novembre 1819. Il exerce en même temps les fonctions de prêtre mineur, ses principes, sa conduite, ses capacités professionnelles sont "dignes de louanges".
Mais en 1824, afin de détourner les Corses de la péninsule, et pour accélérer le processus de francisation de l’île, un jury médical se réunit à AJACCIO : il examine le cas de chaque praticien - Antoine ORABONA obtient l'autorisation de continuer à exercer la médecine "Il Giury non ha alcuna ristrazione sul nostro conto... Alle fine delle sue seduta una lista generale per qualli che si sono presentati e che sono ricevuti come officiali di Salute... e per qualli che hanno uno diploma d'una universita qualcunque dell' Italia... possiano escercere libramente ed exiger da nostri abbonati il compenso delle nostri statutu".
L'administration organise ensuite la nomination des officiers de santé. Les officiers de santé ont appris leur art au fil des ans. Ils donnent les soins aux côtés "di u medicu vecchu" et ce dernier leur demande souvent de le remplacer. "Quandu li sentu u pulsu".
- En 1842, LORENZO exerce ses fonctions à PIETRALBA.
- Antoine Léonard MASSIANI de NOVELLA est reçu officier de santé à MARSEILLE le 27 juillet 1859.
Il est l'auteur du célèbre "Viaghju in ASCU".
Il dessert les communes de BELGODERE, PALASCA et LAMA.
- Don Félix MASSIANI est reçu "officier de santé" en 1864. Il dessert les villages de NOVELLA, LAMA, PIETRALBA. Il est "bien considéré".
La vie des officiers de santé est très dure, ils exercent leur métier comme un sacerdoce, quel que soit le temps, ils partent à pied ou à cheval.
Dès leur arrivée dans le village, où ils ont été appelés pour rassurer leur propre famille, ils font tirer des coups de fusils.
La dure génération des officiers de santé est remplacée peu à peu dans les villages, par celle des docteurs en médecine. Ceux-ci ont reçu durant cinq années un enseignement théorique et pratique dans une ville de faculté.
- Pierre Marie GRAZIANI est chirurgien à PIETRALBA en 1975.
- Pierre SATURNINI exerce la médecine à LAMA depuis le 20 Vendemiaire.
- Sébastien BERTOLA est reçu docteur en médecine en 1802. il est le plus riche propriétaire foncier de la région, il est en même temps Juge de paix, mais il n'exerce la médecine que pour ses amis.
- Jean Marie BONAVITA commence ses études de médecine à l'Université de PISE, et les termine à MONTPELLIER en 1802. Il reçoit en même temps le diplôme de bachelier des lettres. Il quitte son village d'URTACA en 1831 pour se rendre en Amérique du Sud à TRINIDAD, puis à CARACAS où il obtient la chaire de professeur de chirurgie à l'école de médecine. Il rédige un traité "Recherches sur le mal de mer » publié en 1842 à MONTPELLIER.
- Luc Jean ORABONA est promu docteur en médecine le 17 mai 1860 devant la faculté de MONTPELLIER. Il sert à bord du brick de guerre "LE GENIE". Il termine sa carrière à TOULON avec le grade de Médecin Principal de la Marine, puis il se retire dans son village natal.
- Antoine Joseph VENTURINI né à URTACA en 1836, est promu docteur en médecine devant la faculté de ROME en 1865. Il exerce dans son village et se déplace dans une charrette anglaise conduite par un garçon de moins de 20 ans Jules Pierre RAFFALLI.
Prêtres, officiers de santé, docteurs en médecine, presque tous se contentent de jouer un rôle important dans leur piève, où ils sont toujours très populaires.
HONORAIRES
Les honoraires sont versés en nature : huile, farine de châtaignes, blé, le plus souvent à la fin de l'année, selon les possibilités de chacun.
Ainsi, quelques familles donnent 2 bacini de blé par an.
Les notaires fixent le prix pour ceux qui ne payent pas à l'année "Li medici e li chirurghi sono pagati all'anno, secondo la possibilita da diversi abitanti , e secondo il credito che gade il professore".
Le 20 juillet 1862, les membres du Conseil Municipal votent une redevance de 5 centimes par habitant. Cette somme est destinée au traitement d'un médecin gratuit pour les indigents.
L'état sanitaire est précaire, et le nombre des infirmes assez important.
En 1802 : 2 aveugles, 1 estropié à NOVELLA
4 aveugles à URTACA
1 aveugle, 1 muet à LAMA
En 1876 : 2 goitreux, 2 enfants sourds-muets de naissance à URTACA.
Mais on trouve une centenaire, Maria Maddalena AITELLI vit à URTACA en 1769, une autre vit à PIETRALBA en 1795, elle est la grand-mère de l'abbé Jean François GRIMALDI (1751 1834) auteur de notes historiques sur la CORSE (1789 - 1800).
L'HYGIENE
L'hygiène est sommaire, une grande partie de l'année, des familles entières vivant dans les paglaïa de l'OSTRICONI.
La contamination est facile, et bien souvent, malheureusement, ces familles sont atteintes par la tuberculose, par des maladies d'origine bactérienne.
Malgré cet état de chose, quelques règles sanitaires semblent être suivies avec la plus grande rigueur. Peut-être la population a t’elle à l'esprit, l'épidémie de peste de 1348.
Le 15 mai 1770, une terrible nouvelle parvient jusque dans l’île, une épidémie de choléra sévit en Provence. Aussitôt, les habitants d'OSTRICONI prennent la décision d'assurer eux-mêmes, la protection des côtes. Chacune des communes désigne 4 hommes pour exercer une surveillance du littoral.
- A LAMA, Laurent LEONI gagne le concours national organisé par la société contre l'abus du tabac. Il traite le sujet "Du rôle de l'instituteur pour combattre les tendances des enfants à fumer". Pendant les heures d'école, il fumait dans une grosse pipe, une herbe à tabac cultivée dans son jardin. Cette odeur épouvantable suffisait à dégoûter les élèves de l'envie de fumer jusqu'à la fin de leurs jours. Le procédé de dissuasion est très simple.
- En 1866, à la mairie de NOVELLA, une question est à l'ordre du jour "Le besoin impérieux, se rattachant au salut public... l'achat d'une baignoire en cuivre destinée aux malades de la commune". Le conseil municipal vote une somme de 120 francs pour cette acquisition.
LE PALUDISME
Les maladies sont nombreuses, diverses, souvent graves. Les symptômes décrits sont ceux de l'hydatidose, de la fièvre de malte, de la tuberculose, du charbon.
La maladie la plus meurtrière est le paludisme appelé aussi « febbra terza a quarta ». Les habitants de NOVELLA attribuent le paludisme uniquement au mauvais air et à la mauvaise eau d'OSTRICONI. Les premiers signes du mal ne se manifestent-ils pas régulièrement chaque année après la récolte du blé "in piaghia".
A URTACA, personne ne pense que la présence des marais de la "Cannuta" soit à l'origine du mal. L'assèchement de l'étang est demandé par le service d'hygiène de BASTIA, "pour raison de salubrité". Après délibération, le conseil municipal se prononce à l'unanimité par un vote négatif. "Attendu qu'il n'a jamais connu des marais être cause d'insalubrité dans cette contrée. Le petit étang offre des avantages réels par la pêche que l'on y pratique et qui est en fait l'usage d'une industrie, en conséquence, le marais doit être conservé dans l'état où il a toujours existé".
Dans ces cahiers d'observations médicales, le docteur Luc Jean ORABONA fait mention du traitement du paludisme. Il écrit "dans un pays, aussi fiévreux que NOVELLA, on emploie très souvent un médicament très cher, le sulfate de quinine... L'administration préfectorale me fit adresser une petite caisse de médicaments pour les indigents... les médicaments étaient en si petite quantité qu'ils furent épuisés... Je propose de me ravitailler en sulfate de quinine, mais l'administration, me dit-on, manque de moyens".
Le docteur Luc Jean ORABONA conseille vivement les cures d'eau d'OREZZA.
Le THERMALISME
La notion de thermalisme suscite dans le village de NOVELLA, une vive controverse entre les médecins. Le docteur Luc Jean ORABONA prétend que les eaux de la "PADULA", ont des vertus curatives. Pendant ce temps, le docteur Antoine MASSIANI affirme que seules les eaux de "aghia" ont des propriétés bénéfiques.
QUELQUES REMEDES
L'éloignement du médecin, la situation du malade incitent parfois la population à faire appel aux remèdes de bonnes femmes. Du reste, le maire de NOVELLA affirme "Ogni medico procura novo mezzo ma tutto di poco risultate".
- L'hypertension et le diabète sont traités par une décoction de feuilles d'oliviers sauvages.
- Quelques gouttes d'huile tiède atténuent les douleurs de l'otite.
- L'essence de térébenthine est utilisée pour la conjonctivite. Les verrues disparaissent au contact du suc laiteux de "l'erba di piazza".
- Couper les cheveux du malade, fait tomber la fièvre.
- Les piqûres de scorpion sont traitées à PIETRALBA d'une façon curieuse. Pour sauver Pollu GASPARI qui vient d'être piqué, on n'hésite pas à l'introduire dans un four chaud près de la place mezzana. Un procédé analogue est utilisé à LAMA "i insecti venemose e nocive a l'uomo si trova nella comune una specie d'aregno. Della morsicatura di questo animale si deriva un gran freddo, dolori inesprimabili, spasmi e convulsioni, l'immalado desiderando ardammente il calore e qualche cose di stimolente i paesani hanno l'uso di metterlo in un Porno caldo, e di dargli del vino con dell'aglio pesto. Con questo mezzo guariscono quasi tutte. Questi remedi quantunque stravaganti corrispondono all'indicazione, e si trovano d'accordo di principi di medicina, che professa, une de medici del nostro comune".
En ce qui concerne le fléau de la variole, les opinions varient. Quelques-uns uns seulement sont favorables à l'inoculation. A LAMA, il est conseillé dès la déclaration de la maladie de garder la fenêtre de la chambre du malade ouverte hiver comme été.
A LAMA, on pense même que la rougeole est plus dangereuse l'été que l'hiver.
La chirurgie n'inspire qu'une confiance limitée.
Par contre, on croit fermement en la valeur thérapeutique du miel, les ruches sont nombreuses dans la vallée et une grande partie du miel est envoyée à l'hôpital de BASTIA.
ENTRAIDE
Partout l'entraide est très grande, parents et amis assistent les malades avec la plus grande sollicitude. .
A URTACA, dans le hameau du "TRICELLU", cinq maisons occupées par cinq familles différentes communiquent entre elles au niveau "di e sutane".
Par ce moyen de communication, les habitants sans avoir à sortir peuvent veiller sur les malades.
Les voisins peuvent apporter les repas, et le plus souvent des braises incandescentes.
NAISSANCE
Donner la vie est un acte naturel, normal, simple.
L'état de la future maman inspire rarement beaucoup d'inquiétude. Elle accomplit sans interruption un travail quotidien. L'une d'elles à URTACA, n'hésite pas à saisir une "narpia" remplie de blé qui tombe d'une poulie.
Le médecin autorisé par l'Eglise à administrer le sacrement du baptême dans les cas d'urgence extrême, se rend rarement au chevet "di a una dona in parto". Les mamones sont là. On peut avoir confiance, en ces femmes.
Pleines de compétence, elles donnent même au nouveau-né dès la première heure de la vie, quelques cuillères de vin tiède sucré.
La naissance donne lieu à des réjouissances générales "si fanno un presente secondu la loro forze tutti i fanciulli del villaggio accorono per avere la festa, chi si chiamo BRANCOLATA e si regalo loro de frutto della stagione (a LAMA).
TRADITIONS MEDICO-MAGIQUES
Contre toutes les maladies, on fait appel aussi aux traditions médico-magiques. La croyance dans le mauvais oeil et sa conjuration semblent venir de CHALDEE par le biais de l'église Orthodoxe grecque. La teneur de ces prières est tenue secrète à NOVELLA, l'occhiu se transmet directement de mère à fille la nuit de Noël au premier son de cloche.
Pour protéger la famille de la maladie, on suspend chaque année dans la salle où l'on se tient une herbe cueillie avant le lever du soleil le matin de l'Ascension. Cette plante pousse entre les pierres des vieux murs.
Pour guérir les maladies des yeux, il est conseillé de se rendre à une source près de NOVELLA. L'église de ce village possède un tableau de la Vierge versant des larmes miraculeuses, un peu de cette eau déposée sur la partie malade assure immédiatement une guérison complète.
Dans la pénombre des églises faiblement éclairées par des cierges les ex-voto entourent les autels. L'intercession de Notre Dame du Rosaire, de Saint Nicolas, de Saint Laurent de Saint Roch, auprès de « de Dieu le Père » est décisive pour l'obtention de la guérison.
Ces quelques pages ne sont qu'un rapide aperçu de la situation médicale de l'OSTRICONI au cours des 2 derniers siècles.
D'autres études restent à faire du point de vue religieux, littéraire, judiciaire. Une documentation importante existe.
Le plan terrier ordonné par l'édit royal de 1770, le questionnaire de l'An X adressé à chaque commune.
Une civilisation est passée. Pourquoi ne pas s'y intéresser ?
Ecrit par Anne-Marie ORABONA (Extrait du Bulletin de l'Association "U CHJASSU" )