La vie anecdotique de quelques prêtres dans le Cap Corse,
dans le seconde moitié du XVIème siècle
(première partie)


Un des plus importants fonds des archives transférées à l'automne dernier des Archives Départementales de Corse du Sud à celles de Haute-Corse est sans conteste celui consacré aux évêchés. Il regroupe les documents relatifs à l'administration des diocèses de Mariana, Nebbio et Aleria sur une période allant du XVIème au XVIIIème siècle.
Un classement interne à chacun de ces évêchés permet d'y consulter diverses pièces d'intérêts telles que visites pastorales, ordinations ecclésiastiques (clergé régulier et séculier), dispenses pour mariages consanguins, statuts de confrérie, legs pieux ....
Nous nous intéresserons ici aux « procédures civiles » et aux « procédures criminelles ». Les premières rassemblent divers documents relatifs aux litiges et, plus largement, aux relations entre l'Eglise et le monde civil. Les sujets abordés sont particulièrement variés(1) : si une très nette majorité des pièces concerne la perception des dîmes et la délimitation des pievi, on y trouve pêle-mêle des questions touchant aux sépultures et usages funéraires, aux travaux dans les églises, au fonctionnement des confréries, aux différents opposant les communautés au clergé...
Les « procédures criminelles » sont plus directement liées aux excès du personnel religieux et à sa réglementation. On y trouve néanmoins des actes ayant trait aux « crimes » du monde civil, dont un grand nombre relatifs au concubinage.
L'ensemble, quoique extrêmement « fouillis » (2), fournit une mine de renseignements sur de très nombreux sujets.
Nous avons choisi de ne retenir ici que celui concernant la réforme du clergé séculier, à l'issue du Concile de Trente. Le sujet a déjà été largement traité et il ne saurait être question de s'attarder ici sur des éléments développés souvent brillamment dans tant d'ouvrages d'histoire générale et locale. Nous ne ferons que nous intéresser de plus près à la personnalité de quelques prêtres de la seconde moitié du XVIème siècle, à travers quelques exemples supplémentaires de ces religieux qui furent paradoxalement à la fois les objets et les applicateurs des réformes d'un Concile tout juste terminé.

Prete Andrea da Novella

C'est une anecdote tirée de la « Chronique de la Corse » d'Anton Pietro Filippini(3) qui met en scène pour la première fois ce personnage haut en couleur. Lors d'un épisode narrant l'attaque en 1560 des villages de Centuri et Morsiglia par le renégat Mammi Corso, le célèbre chroniqueur corse rapporte en effet : « Mammi, le renégat de Pino (dont j'ai parlé), après avoir pris à Ortinola, la tour où était Zaccagnino, ne pouvant s'emparer de l'autre, fit, dans sa colère, brûler une vingtaine de maisons en ces lieux, épargnant seulement celle d'un prêtre nommé Andrea de Novella, lequel avait la jouissance du bénéfice de cette paroisse, parce qu'avant de s'enfuir, il avait laissé dans sa maison une table abondamment servie, ce qui le sauva ».
Voilà qui situe sommairement l'individu. Andrea fut effectivement titulaire des bénéfices de Morsiglia, Ersa et Centuri depuis au moins cette année 1560 et jusqu'au mois de juin 1585 où un document l'atteste encore à cette fonction(4) . Son décès doit être intervenu entre cette dernière date et janvier 1588 où le nouveau curé de Centuri est le « Reverendo Prete Tomaso »(5). Andrea ne desservait en fait que Centuri. Il y résidait et louait les autres cures à divers religieux. Ces longues années passées au même poste révèlent sans doute l'intérêt de la place bien qu'une affaire très grave l'ait opposé à la justice ecclésiastique en 1574.
Les accusations sont multiples. On lui reproche tout d'abord d'avoir, le 13 janvier, enlevé et séquestré au presbytère de Centuri une femme mariée du hameau d'Ortinola pendant deux nuits et une journée. Quelques jours plus tard la dite Donna Cinercha fut assassinée, la maison de Prete Andrea pillée et ce dernier attaqué par une bande armée qui lui tira plusieurs coups d'arquebuses. On l'accuse aussi de pratiquer l'usure et de commercer avec les infidèles.
L'enquête préliminaire est confiée au curé de Rogliano, Prete Valentino Renuccic(6), qui se rend à Centuri le premier février pour interroger les témoins(7). Les différents rapports sont accablants(8) mais concordent pour confirmer les accusations (dont celle de la relation coupable) avec quelques nuances toutefois importantes(9).
Nous avons extrait quelques morceaux de ces témoignages :

- Giovan Francésco de Camera : a vu Cinercha à son retour du presbytère. Cette dernière lui a confié : « Prete Andrea me mit la main au cou et m'emmena (par force) chez lui » (« Prete Andrea mi mise le mane in gola e mi porto in casa sua » ). II accuse le prêtre d'être responsable de sa mort.
- donna Firidonia de Camera : « ce prêtre n'a pu obtenir les faveurs de Cinercha si ce n'est pas par vice ou par magie » (« detto Prete non posse avere dita Cinercha salvo per falorio o sia erre macicha »).
- Francesco Fichone : « le prêtre a des relations avec Cinercha depuis trois ans » (« delta Cinercha delta Prete l'abia tenuta gia ani tre »).
- Michelorso de Camera : « on l'a vu plusieurs fois, durant la nuit, à la porte de Cinercha avec laquelle il a eu une longue relation depuis plus de deux ans ».
- donna Altarice d'Ortinola : se rendit à Camera et demanda où était Cinercha ; les parents de cette dernière, qui la cherchaient depuis quelques jours, lui répondirent : « nous pensons que Prete Andria a fui avec elle car nous savons qu'ils ont une relation depuis trois ans » . (« li giorni passati li parenti di dita Cinercha la circhavano ed essa testimonia ando a la chamara a dimanda uve fussi dira Cinercha e li sui parenti e parente diseno noi pensemo chi Prete Andria sia fogito cou esa per chi noi sapemo la tenuta gia ani tre » ).
- donna Biancafiora de Camera : confie que Prete Andrea lui a demandé son honneur au cours d'une confession, ainsi qu'à d'autres femmes du village.
-Antan Marco d'Orche : sait qu'il a déshonoré une jeune fille du hameau d'Orche
- Santio d'Orche : déclare ne pas savoir qui a tiré les coups d'arquebuse sur le prêtre mais l'on dit dans le village que ce sont les parents de Cinercha. II avoue que Prete Andria a déshonoré sa propre fille (« dice non saper chi a tirato l'erchibogiate a detto Prete Andria salvo per guanto si parla vogliano dire che siano stati li parenti di delta Cinercha (..). Detto Prete ne tolze l 'onore di la sua figlia magiore »).
- Pierantonio de Camera : a entendu dire à Giurmino de Morsiglia et Grigolo de Camera que Prete Andrea prêtait de l'argent à intérêt.
- Salvadore de Merlacce : sait que Prete Andrea négociait régulièrement avec les infidèles lorsque leurs bateaux arrivaient (« sa chi detto Prete Andria di molle volte negoziava cou infideli cioe guando si capitava juste »).
- Simone de Casevecchie : ne sait pas vraiment si les rachats d'esclaves réalisés par Prete Andrea ont été effectués pour le bien des prisonniers ou pour les intérêts mêmes du religieux (« dello riscattare li schiavi non sa se lo facessi per beneficio di guelli che riscattava o del suo »).


L'un des derniers dénonciateurs fut le curé de Rogliano en personne, Prete Valentino Renucci, qui confirme les accusations en insistant sur les nombreuses relations coupables entretenues par l'accusé avec le sexe féminin, relations assorties d'enfants illégitimes. -

Enfermé dans les cachots de la citadelle à la mi-février, Prete Andrea fut soumis à un long interrogatoire le 15 mars. Nous en donnons ci-dessous une traduction française :

Depuis quand êtes-vous à Bastia ? Quanto tempo che è alla Bastia ?
Environ un mois (10). Circa un mese.
Par où êtes-vous venu ? loco venne (?) alla Bastia ?
Par le monastère des Capucins et le chemin de Canari(11). Dal monasterio di Capucini et fece la strada di Canari
Où étiez-vous en janvier ? Del mese di gennaio dove fu ?
Je suis resté à Centuri sauf lors d'un déplacement à Bastia. Stele sempre a Cenluri eccetto vienne alla Bastia.
Etiez-vous à Centuri le 8 janvier Se alli otto di gennaio era a Centuri ?
Je ne me souviens pas bien. o non me ne ricordo bene.
Et le 12 ? Se alli dodeci era a Centuri ?
Le 12 ou le 13, j'étais à Centuri d'après ce que je me souviens Alli dodeci o sia tredeci era a Centuri per quello mi racordo.
Et le 13 ou 14 ? Se alli tredeci o quatordeci era a Centuri ?
Le 13 ou 14, j'étais à Centuri et je suis allé à la chasse et à Ersa(12) Alli 13 o 14 era a Centuri e andava quando a caccia et quando ad Arsia
En compagnie de qui ? hi conpagnia di cui ?
Avec personne. Con nesuno.
Quelqu'un a-t-il pu vous voir ? Se alcuno Io videa ?
Ceux qui travaillaient les vignes ont pu m'apercevoir Mi poteano vedere quelli che faciano le vigne.
Quand vous alliez à la chasse, retourniez-vous dormir à la maison le soir ? Se guando andava a caccia tornava la sera a dormire in casa ?
Oui, chaque soir. Signor si, ogni sera.
Pendant le mois de janvier, avez-vous dormi une fois hors de la maison ? Se in tutto il mese di gennaio dormi una sera fora di casa ?
Quand j'étais en voyage, je n'ai pu dormir qu'en dehors de la maison Quando era fora di casa per viagio non potra farche non dormissi fora di casa.
Connaissez-vous Cinercha ? Se connosce donna Cinercha ?
Oui. Signor si.
La considérez-vous pour une femme honnête ? Se l 'ha per donna da bene ?
Je la considère comme elle est. Io la lasso cosi è.
Pourquoi Cinercha de Simonpietro a-t-elle été malade ? Perche è stata amalata guella Cinercha di Sintonpietro ?
II ne s'agit pas d'elle (13) . Signor non è guella.
Qui est celle qui est morte ? Quale è quella che morta ?
Cinercha femme d'Agostino. Cinercha moglie di Agostino
Pourquoi dit-on qu'elle a été tuée ? Perche si dice che sia stata amazata ?
Je ne sais pas mais le mari l'avait prise pour conclure un traité de paix et peut-être ne la voulait-il pas(14) Io non Io so perche il marito l'havea presa per pace et forse non la volea.
Savez-vous ce qui se dit communément sur la raison de son assassinat ? Se sa quello si dice communemente perche sia stata amazata ?
Je ne peux pas le savoir si ce n'est que l'on dise que le mari l'ait tuée (pour la raison susdite) Io non Io posso sapere slavo si dice l'havia amazata havendola presa per pace e non la volea.
Savez-vous que l'on prétend qu'elle a été tuée par votre faute ? Se sa che dica perche è stata amazata per conto suo ?
Je n'en sais rien. Io non ne so nulla.
Pensez-vous qu'une rumeur publique doive être prise au sérieux ? Se quando una cosa è publica voce et fama se si presume che sia vero o non la cosa ?
(Pas de réponse)
Pendant combien d'années avez-vous eu des relations avec cette Cinercha (15) ? Quanti anni ha tenuto questa Cinercha ?
Je n'ai eu de relations avec cette Cinercha ni pendant des années, ni pendant un jour ni pendant une nuit. Non l'ho tenuto anni ne giorno se notte ne di.
Combien de fois avez-vous eu des relations charnelles avec elle ? Quante volte ha hauto a far seco ?
Aucune Nessuna
Avez-vous eu des relations avec d'autres femmes ? Se ha hauto a far con altre ?
Je n'ai jamais eu de relations avec des femmes si ce n'est quand j'étais jeune avant que je ne sois prêtre. Non ho hauto a far con persona alcuna escluso quando era giovine avanti fussi prete.
Connaissez-vous Santio d'Orche ? Se connosce Santio dall 'Orche ?
Oui Signor si.
Est-il marié ? Se ha moglie ?
Oui avec des enfants. Signor si con figlioli
Connaissez-vous ses filles ? Se connosce nessuno delle sue figliole ?
Je les connais toutes. Le cognosco tutte.
Comment s'appellent-elles ? Come si domandano ?
Une Fiorella, l'autre Maddalena. Una Fiorella l'atra Maddalena.
Laquelle des deux est en Balagne ? Quale è guella che è in Balagna ?
Toutes les deux Tutte due.
Qui les y a envoyé ? Che ci l'ha mandate ?
Le père. Il padre
Où résident-elles en Balagne ? In che loco stano in Balagna ?
Une à Muro, l'autre à Sant'Antonino Una a Muro e l'atra a Santo Antolino.
Avez-vous eu des relations avec l'une de ces deux filles et dites la vérité ? Se ha havute a fare cosa alcuna con dette figliole che dica la verità ?
Non (16) . Signor no.
Combien avez-vous d'enfants et de qui sont-ils ? Quanti figlioli che ha di chi è nato ?
Je n'ai ni garçons ni filles. non ho figliolo ne figliola.
Dites la vérité car cela est trop bien connu, sinon vous serez mis à la torture ! Che dichi la verità perche questo è troppo notorio altramente Sara messo alla tortura !
Je n'ai pas connaissance d'avoir des enfants nulle Part(17) . Signor non so Che habbia figliolo in loco.
Connaissez-vous Agostino d'Ortinola ? Se conosce Agostino d'Ortlnola ?
Oui. Signor si.
Aviez-vous des relations amicales avec lui ? Se havea domestichanze seco ?
Plutôt mauvaises car un jour, allant à la marine, il demanda une faveur en me priant de lui laisser un terrain au « Rinagio », ce que je lui refusais et pour cela il m'en a voulu. Anzi piutosto contraria che altrimente perche un giorno andando a la marina disse Prete vogllo mi facci un favore sapere che havea uno pezzo di vlgna allo rinagio e voglio me la lassate (...) et cosi li risposi non la posso fare e pero mi ne ha voluto male.
Aviez vous des relations amicales avec sa femme ? Se havea domestichanze ton sua moglie ?
Non. Signor no.
Etes-vous entré dans la maison d'Agostino lorsque sa femme y était ? Si è stato mai in casa de Agostino mentre vi era la moglie ?
Cela est possible mais je ne m'en souviens pas. Potrà essere ma non me ne racordo.
La femme d'Agostino est-elle venu chez vous ? Se la moglie de Agostino è stata mai in casa sua ?
Non Signor no.
Si l'on vous dit en face qu'on la vu chez vous, que direz-vous ? Se li fara dire nel vlso che la vista in casa sua Che dlrà ?
Faites-le moi dire en face et on verra. Signor fateme Io dlca in Io viso se vedera.
Dites la vérité car la chose est plus que claire ; votre confession entraînera miséricorde sinon vous serez soumis à la torture ! Che dica la verità perche la cosa è più che chiara, se li uscira mlsericordia se confessa altrlmente se procedera ton tortura !
Je n'ai pas connaissance qu'elle soit venu chez moi. Signor non so che sia stata mai in casa mia.
Avez-vous des ennemis dans ce village ? Se ha inimici in guello paese ?
En tant que prêtre je leur ai pardonné et je leur pardonne ; mes ennemis ont été ceux qui m'ont tiré les coups d'arquebuse et qui ont pillé ma maison. Signor io come prete le ho perdonato e perdono ; me sono stati lnimici quelli che hano dato le archibugiate e spogliato la mia casa.
Dites les noms de ceux que vous pensez être vos ennemis ! Che dlca li nomi di quelli presume siano sui inimici !
Anibale et tous ses amis et parents c'est à dire Anibale, Agostino et leurs parents et amis. Anibale e tutti li sui seguaci e parenti cioè Anibale, Agostino e tutti li parenti loro e seguaci.
Pour quelle raison ont-ils cette inimitié contre vous ? Perche hanno questa inimicitia contra di lui ?
Parce qu'ils m'ont offensé et ont dévalisé ma maison. Perche mi hano offeso e svalisciati la mia casa.
Pourquoi vous ont-ils offensé ? Perche l'hanno offeso ?
Parce que cela leur a fait plaisir(18). Perche li è piacuto
Pensez-vous que quelqu'un sans raison puisse tirer des coups d'arquebuse ? Se si presume che uno senza causa tiri archibugiate ?
II en a été ainsi pour ceux qui l'ont fait contre moi. A me haro fatto senza causa.
Le pensez-vous et répondez à la question ! De novo se si presume e che rispondi alla interrogatio !
Avec ou sans raison, cela peut se produire Con causa e senza causa se ne face.
Avez-vous déjà pratiqué le commerce ? Se ha mai fatto mercantia alcuna ?
Cela m'est arrivé de temps en temps surtout pour du blé que j'ai vendu. Il nome ne havea et qualche volta haveva dello grano e ne vendea.
Pratiquez-vous l'usure ? Se si facia usura ?
Non Signor no.
Avez-vous prêté de l'argent à intérêt ?
Non. J'en ai prêté mais pas à intérêt.
Avez-vous commercé ou eu des relations quelconques avec des infidèles ? Se ha mai fatto negotio o altre cose con infideli ?
Je leur ai racheté beaucoup d'esclaves. Ho recattato tnolti de mano de turchi.
Avez-vous fait d'autres trafics avec les infidèles ? Se ha fatto altri trafichi con infideli ?
Je ne m'en rappelle pas (19). Io non me ne ricordo.
Avez-vous déjà porté des vêtements « turcs » ? Se ha mai portato veste da turchi ?
Gasparo d'Orche m'en donna une fois et je les ai portés en sous-vêtements. Me ne fu dato una una volta da Gasparo dall'Orche e la portava sotto.
Avez-vous été en Barbarie ? Se è stato in Barbaria ?
Oui Signor si.
Etiez-vous prêtre ? Se era prete ?
Non. J'étais soldat et je ne me souviens pas si j'étais alors prêtre. No. Era soldato e non mi ricordo se era prete.


Concurremment, l'avocat de Prete Andrea, le bastiais Paolo Geronimo Costa, arguant d'irrégularités concernant la procédure et de la faiblesse du dossier, requiert dès le 10 mars la libération de son client. Sa demande étant restée lettre morte, il plaide le 9 avril et base son argumentation sur les points suivants

- Prete Andrea est de bonnes moeurs et réputé comme tel.
- l'évêque de Mariana en personne, lors d'une visite pastorale effectuée à Centuri deux ans plus tôt, avait demandé à la population de dénoncer d'éventuels manquements de leur prêtre. Aucune plainte ne fut déposée à la suite de cette sollicitation mais au contraire on put enregistrer divers témoignages de satisfaction.
- les déclarations des personnes ayant dénoncé et accusé son client ne doivent pas être retenues car elles émanent d'individus ayant des comptes à régler et soupçonnés de mauvaise foi. Et de donner une liste de ces derniers faisant apparaître une dizaine de personnes (20) que l'avocat accuse d'avoir directement participé au guet-apens tendu à Prete Andrea.
- ce dernier a toujours vendu les céréales et les vins provenant des entrées de son bénéfice au prix courant, voire moins cher.

Quant à ses relations prétendues avec les « turchi », elles n'ont eu pour seul objet de libérer de pauvres esclaves.

Divers témoins, originaires de Saint Florent, Patrimonio et Farinole, comparaissent le 29 avril, confirmant l'un ou l'autre des points abordés. Deux mois s'écoulèrent avant qu'un ordre de libération conditionnelle du prisonnier ne soit émis, assorti du versement d'une somme de 500 écus et de l'engagement de deux cautions.

Une affaire parallèle vient de nouveau inquiéter le remuant prêtre dès le mois d'août. Elle concerne l'évasion collective des cachots de la citadelle d'une dizaine de prisonniers qui purent, dans le courant du mois de mai, arracher une des grilles en ter de la prison et, au moyen d'une corde, échapper à leur geôlier. Le témoignage de l'un des fugitifs, Pier Giovanni dallo Serale di Moriani, innocente Prete Andrea en niant une quelconque implication de sa part dans l'évasion, car les prisonniers ne lui faisaient pas confiance et le tinrent à l'écart de leur projet (« perche non fidavano da lui non havendo a far niente con esso »).

Les autorités judiciaires continuent néanmoins à croire que le curé de Centuri leur prêta main-forte en leur fournissant une barre de fer, un burin et une corde (« uno pezzo di ferro come un scarpello et un canapo »).

Aucun document ne vient préciser les suites données à ces accusations.

Nous retrouvons Prete Andrea de nouveau confronté à l'autorité ecclésiastique quelques années plus tard, plus exactement le 10 décembre 1584. Ordre lui est alors transmis de regagner sa paroisse de Morsiglia alors qu'il réside à Pietralba. Deux rappels au mois de janvier et février furent nécessaires avant qu'il ne se décide à se conformer au commandement (cf illustration N°1).

Ancien soldat, armé d'arquebuse et pratiquant la chasse, fortement soupçonné d'avoir eu nombre de relations avec des femmes parfois assorties de la naissance d'enfants, pratiquant le prêt à intérêt, connaissant la Barbarie et négociant avec les « infidèles »(21), peu enclin à résider dans sa paroisse, Prete Andrea paraît avoir été un de ces prêtres délictueux directement visés par la réforme engagée par le Concile de Trente.




1 -Certaines pièces n'ont d'ailleurs aucun lien avec l'Eglise, ni de près, ni de loin.
2 -On peut ainsi trouver des documents concernant une même affaire dans les liasses civiles et criminelles.
3- Anton Pietro Filippini. «chronique de la Corse » , 1560-1594, introduction, traduction, notes et index. de Antoine-Marie Graziani, Editions Alain Piazzola, Ajaccio, 1996, page 52. Voir également l'index alphabétique page 448 où l'auteur signale brièvement une partie des faits développés ici.
4- 3G 5/19
5- Sippione d'Ortinola. notaire à Centuri, 3 E 289, f° 67 verso. acte du 12 janvier.
6- Natif d'Erbalonga.
7-D'autres déclarations sont enregistrées le lendemain « al giardino di Santo Colombano » à Rogliano.
8- Sur toute cette affaire cf 3 G 5/6 et 3 G 5/101. Documents en très mauvais état.
9- Notons au passage que si Prete Andrea est décrit par tous les témoins comme étant mat de peau (« di color negro »). certains le disent petits, d'autres l'estiment grand (« di piccola (grande) statura »).
10- On en déduit que Prete Andréa était détenu depuis près d'un mois avant l'interrogatoire.
11-Le chemin emprunté Fait-il référence au couvent de Luri puis à un chemin de montagne passant sur les hauteurs de Canari ?
-12 II semble que Prete Andrea se décide à donner des précisions pour confirmer qu'il était bien dans sa paroisse. La pratique de la chasse implique le port d'armes.
-13 Noter le vice de l'interrogatoire. On lui demande s'il connaît une Cinercha puis on l'interroge sur une autre (qui doit exister) pour voir à laquelle il a spontanément pensé.
-14 Voilà un nouvel exemple de cette pratique dont nous avons déjà parlé ; cf. « De Sisco à Canari, le mariage au service de la paix », A Cronica N° 13, page 54.
-15 Notons la soudaineté et la brutalité de la question.
-16 Notons le très long préliminaire et les précisions apportées sur ces jeunes filles pour en arriver à la principale question.
-17 La menace de la torture ne fait visiblement pas « craquer » Prete Andrea.
-18 Réponses plutôt évasives et de mauvaise foi.
- 19 Un inventaire des objets volés dans la maison du prêtre à Centuri, dressé de sa propre main, fait apparaître 36 écus d'or « mauresque » et une arquebuse conservée « par crainte des turcs» (« schudi trenta sei de oro moro, uno archibuxio a rota di valuta di schudi sei qual mi tengo in casa per sospetto di turchi »).
-20 Les ennemis jurés de Prete Andrea sont les frères Giovan Francesco et Marcantone q Biasino qui eurent un différent avec lui pour une nappe d'autel appartenant à la confrérie de Centuri.
-21 Ceci pourrait expliquer pourquoi le renégat Mammi Corso aurait épargné la maison du prêtre lors de la terrible attaque de Centuri et Morsiglia ; la table bien garnie ne pourrait être alors qu'un de ces mythes que l'homme a toujours aimés colporter autour de ces personnages devenus dès lors légendaires

Reçu de Mr MENIGAGLIONI : Cet article proviendrais de Mr Jean Christophe LICCIA, publié dans la revue historique "A Cronica" N°15.


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